Problématique de l'accès à l'eau et de l'assainissement dans le Rwanda rural

En 1972, un groupe d'artisans fontainiers crée l'association COFORWA dont la mission est  d'aider les populations rurales à accéder à l'eau dans de bonnes conditions, d'améliorer l'assainissement et de former localement les personnes qui prendront en charge l'entretien et le développement des infrastructures réalisées.

A l'heure actuelle la COFORWA a contribué à la réalisation de la moitié des infrastructures d'eau dans les campagnes Rwandaises. Cela représente près de 350 adductions, 700 réservoirs, 3200 bornes fontaines, 1200 aménagements de sources. COFROWA est reconnu et accueilli à bras ouvert par la population partout dans le pays. C'est un partenaire professionnel incontournable en matière d'hydraulique villageoise et plus récemment pour l'installation de micro-centrales hydroélectriques.

J'ai pris contact avec la COFORWA depuis la Belgique grâce à PROTOS. Je passerais deux jours dans leurs installations et visiterais leurs projets.

COFORWA ne se contente pas d'installer des infrastructures, elle développe, pour certains projets et selon le financement, un accompagnement socio-éducatif et elle forme également des intervenants en hydraulique villageoise.

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Au Rwanda, l'accès à l'eau est problématique principalement aux extrêmes sud-est et est du pays. Dans ces zones, les points d'eau sont parfois éloignés de plusieurs kilomètres des habitations. Dans les autres zones, il me semble que la distance est beaucoup plus limitée. Ceci dit, étant donné la nature montagneuse du pays, le travail des porteurs et porteuses d'eau de tous âges reste très pénible. Les enfants sont de corvée eau, ils transportent des bidons à leur mesure. On les voit sur les routes, souvent accompagnés d'adultes qui transportent des volumes plus importants.

Selon moi, le principal problème, dans les campagnes, est la qualité de l'eau disponible. En effet, les sources auxquelles les habitants s'approvisionnent sont situées en contrebas des habitations et des cultures, or dans toutes les maisons, les latrines sont raccordées à de simples puits perdus.

Les besoins restent importants pour: l'aménagement de sources, des adductions qui facilitent l'accès à l'eau - en particulier dans les parties hautes, des mesures d'assainissement et d'hygiène pour des collectivités telles les écoles et des mesures de protection efficace des zones d'appel des principales sources captées.  De plus, des moyens d'évaluation de la qualité des eaux de sources en particulier au niveau bactériologique seraient très appréciables et permettraient une meilleure conscientisation des populations par rapport à l'assainissement.

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J'ai pu visiter les projets de la COFORWA dans la région de Ndiza (110.000 habitants vivant au delà de 1500m d'altitude). Cette région est un massif montagneux schisto-gréseux situé au nord de Gitarama (actuellement rebaptisée Muhanga). La plupart des points visités concernent un projet co-financé par PROTOS (phase des travaux planifiés pour 2005 et 2006), une ONG basée à Gand et spécialisée dans la coopération en rapport avec l'accès à l'eau et l'assainissement.

Voici les différents points visités cette après-midi du 11 juillet 2006:

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Point 0 : Siège de la COFORWA

Site d'exploitation principal de la COFORWA à Kibangu (petite localité de 700 à 1000 habitations). Le site dispose des infrastructures d'accueil et de formation de son personnel (60 agents) et des stagiaires en formation. Il dispose également d'ateliers divers (bois, soudure, mécanique...) et de bâtiments nécessaires au stockage du matériel des fontainiers.

 


Vue des montagnes de la chaîne de Ndiza depuis le site de la COFORWA

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Point 1: Compostage à Rusuri

Les déplacements sont difficiles sur les pistes pentues. Le gros véhicule Toyota 4X4, chargé de 7 personnes, peine. Certaines vitesses semblent défaillantes. La COFORWA dispose de 7 véhicules qui acheminent le matériel parfois lourd et souvent encombrant et le personnel vers les ouvrages en construction dans des conditions extrêmes, particulièrement en saison des pluies.


La photo écrase la perspective, ici la pente est de 6 à 7%,
 la latérite de la piste a fait place dans ce virage à de la roche qui,
 lorsqu'il pleut doit être très glissante.

Au détour d'un virage, sur la crête de la montagne, on découvre une école et 200 enfants dans la cour de récréation. Le levier de vitesse de la Toyota ne répond maintenant plus du tout. Le chauffeur s'arrête. Heureusement, nous sommes au sommet et il ne reste plus à faire que 3 à 4 Kms avant le premier arrêt prévu. Les GSM fonctionnent, fort heureusement et les mécaniciens sont appelés. Pour ne pas perdre trop de temps, nous décidons de poursuivre notre chemin à pied.


L'école de Burerabana


Les enfants accourent pour voir ce qui se passe. 
Ils seront étonnés de se voir dans l'appareil photo

A Rusuri, nous arrivons à pied. La population est rassemblée pour la Gacaca. Notre arrivée fait concurrence à l'assemblée qui s'achèvera une demi-heure plus tard. A Rusuri, la COFORWA a mis au point un système de compostage communautaire dans la perspective d'une éducation sanitaire.


Le compost à gauche (2 fosses) et la fosse au non -biodégradable
 à droite la pancarte annonce: "Soyons propre"

L'éducation sanitaire se compose de 2 axes: 

   

 - la propreté publique lors des marchés et rassemblements publics;


 - une conception et une utilisation hygiénique des latrines.


Le compost est couvert pour éviter son assèchement, les déchets verts du marché, les branchages y sont déposés. Normalement il est recommandé de retourner le compost d'une fosse dans l'autre une fois l'an. Les déchets sont déposés tels quels les feuillages ne sont pas découpés, les branchages sont intacts également. Malgré l'ombre fournie, ce compost me semble sec. Il n'a aucun rapport avec ceux que l'on observe chez nous. Il doit cependant être d'une certaine efficacité car les populations vident les fosses pour le mettre sur les champs avant la fin du cycle prévu.

Pour les autres fumures, les déjections animales sont utilisées et déposées sur les champs sur base régulière (jour/semaine?). Il n'y a pas de litière ni de stockage de fumier. Les urines s'écoulent librement, s'infiltrent ou sont directement jetées liquides dans les champs.

Monsieur Norbert, responsable à la COFORWA des programmes socio-éducatifs, profite du rassemblement pour expliquer ma présence, mon intérêt et pour donner ou redonner les instructions concernant le compost et les latrines.



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Point 2: projet d'adduction par pompage à Muhabwa

 

  

Les mécaniciens sont arrivés et ont trouvé le moyen de repartir avec notre véhicule, ils nous laissent celui avec lequel ils sont venus. Nous sommes crapahutés à 7, avec armes et bagages, dans un véhicule de type pick-up conçu pour transporter de 5 à 6 personnes en cabine.

Dans une zone d'émergence, 3 sources sont drainées d'une part vers un réservoir de 30 m3 et d'autre part, vers une fontaine aménagée. Une petite zone de protection est tracée autour des sources l'accès y est interdit. Immédiatement au dessus de la zone il y a des champs, sur la crête on découvre un petit groupe de maisons (et donc de latrines qui ne sont que des puits perdus). Les eaux du réservoir sont ensuite pompées pour aller alimenter d'une part une borne fontaine et d'autre part un autre réservoir situé plus haut.


Dans la casemate, l'opérateur - un habitant du village en formation "sur le tas" chez COFORWA -
 actionne la pompe capable de refouler l'eau à une altitude de 200m

Nous testons l'eau de la fontaine à l'aide d'une bandelette colorimétrique et observons une concentration en nitrates située entre 10 et 25 mg/l (plus proche de 10 que de 25). Cependant, le test nitrite semble positif, et vient perturber la mesure. En contrebas de la fontaine, le petit ruisseau présente une teinte rouge intense signe de la présence de fer dans l'eau. L'absence relative de nitrates en regard du contexte des sources s'explique par une réaction de réduction des nitrates en nitrites, voir en azote gazeux en présence de fer dans l'aquifère et en absence d'oxygène. A la sortie de la fontaine, l'oxygène remplace les nitrates dans la réaction d'oxydoréduction et il y a  précipitation d'oxydes ferreux (hématite). Si ce phénomène n'intervenait pas dans l'aquifère, il y a de forte chance que l'eau contiendrait beaucoup plus de nitrates. Cela indique une contamination de l'eau de l'aquifère certainement par les puits perdus et l'agriculture qui se pratique en amont des sources. Il y a de très fortes chances que l'eau captée ici soit contaminée fécalement. A terme, les conduites d'amenée d'eau et le réservoir présenteront des dépôts d'hématite.

A priori - sans cependant une analyse complète - la qualité de cette eau ne présente pas de risque "minéral" pour la santé des populations mais bien un risque bactériologique et sanitaire. Etant donné qu'il n'y a pas de désinfection, il est impératif de faire bouillir l'eau avant de la boire. Cette opération requière cependant l'utilisation du charbon de bois ce qui contribue d'une part - même à petite échelle - au réchauffement climatique, au déboisement et qui d'autre part accentue l'érosion des sols. Le fait d'utiliser également une pompe - mise en action par un moteur au mazout, alimenté par un réservoir qu'il faut remplir en venant avec un véhicule équipé d'une citerne - ce qui est probablement justifié au regard des ressources disponibles localement et de la topographie, contribue aussi au réchauffement climatique.

Dans la perspective de la gestion intégrée de l'eau et de l'environnement, il faut être conscient de ces différentes interactions et mettre en oeuvre les solutions qui auront le moins de conséquences en chaîne. Il est bien entendu impossible de trouver des solutions environnementales parfaites. 

Personnellement j'encouragerais la recherche de sources situées en amont des habitations et de moyens d'adduction gravitaires exclusifs.

L'autre question est de savoir si l'adduction répond aux besoins et aux capacités notamment financières des populations. Ici l'adduction réalisée ne déssert pas "encore" une grande population. De l'aveu même des responsables de COFORWA, l'eau distribuée au guichet situé dans le village en amont est trop chère (20 FRW le bidon de 20 l). En conséquence, des enfants du village se déplacent jusqu'à la fontaine où l'eau est gratuite.

Ces enfants, plus âgés, viennent du village situé en amont de 2 à 4 fois par jour pour transporter à chaque voyage 1 à 2 bidons de 20 litres. Le village n'est pas loin mais la pente est forte et la charge lourde. Ces filles ont de 13 à 15 ans et ne peuvent poursuivre leurs études. Si l'école primaire est accessible, l'école secondaire nécessiterait l'internat qui est hors de prix pour les parents.

La COFORWA souhaite à partir de cette adduction alimenter Rusuri séparé de Muhabura par les vestiges d'une forêt primaire quasi impénétrable selon mes accompagnateurs. Cela permettrait de rentabiliser l'adduction et de diminuer le prix de l'eau.


Rusuri est situé de l'autre coté de cette colline couverte des vestige d'une forêt primaire

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Point 3 : Réservoir 100m3 du Kiginga

Ce réservoir situé au sommet de la chaîne à 2276 m a été financé par le CICR. Il alimente différents villages accompagnés au niveau socio-éducatif par le COFORWA avec le soutien de PROTOS.

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L'accompagnement socio-éducatif de la COFORWA

La politique de la COFORWA est d'inscrire ses actions dans le cadre de demandes formulées par les habitants qui traditionnellement sont fortement organisés. Tout membre de la communauté est en droit de demander à quiconque circule ou agit sur le terrain, ce qu'il y fait et s'il a reçu l'autorisation de la collectivité. Les maisons sont regroupées et un chef de 10 maisons est désigné et reconnu par les habitants. A un niveau supérieur se trouve le secteur. Les autorités de secteurs ont de grandes responsabilités et sont impliquées directement sur le terrain. Les points 1 à 3 sont situés sur le secteur de Rongi, les points 4 à 6 sont situés sur le secteur de Kiyumba.

Les populations sont donc étroitement associées au moment de la définition des actions prioritaires à mener. Une fois la décision "stratégique" prise, des intervenants locaux - des fontainiers formés par la COFORWA - définissent les caractéristiques techniques des ouvrages. Parallèllement, la COFROWA forme des animateurs sociaux. La formation consiste en une explication des aspects sanitaires via la méthode PHAST et à une approche de la gestion de l'eau et de l'environnement. Ils sont également formés à l'animation. Généralement les animateurs ont un niveau d'étude secondaire et sont reconnus comme des leaders ou des personnes ressources au sein de la communauté  (infirmiers, instituteurs....). Actuellement pour le projet de PROTOS, 77 animateurs ont été choisis, puis formés dans le district (qui regroupe pluieurs secteurs. 

Au moment de l'installation des infrastructures, les techniciens de la COFRORWA forment "sur le tas", comme ils se plaisent à le dire, des ouvriers locaux capables d'intervenir plus tard en cas de problème. A ce moment, l'accompagnement socio-éducatif des populations démarre, mené par les animateurs formés par la COFORWA. Lors des premières interventions de ces animateurs, les superviseurs de la COFORWA sont présents, en soutien, puis les choses s'organisent par elles-mêmes.

Il n'y a qu'une seule forme d'intervention: la réunion communautaire. L'animateur informe la population par des visites dans les maisons de la tenue de la première réunion communautaire - puis le bouche à l'oreille fonctionne. Celle-ci se déroule dans le lieu, la salle, réservé traditionnellement aux rassemblements. Les réunions communautaires se déroulent durant les après-midi, les matinées étant consacrées aux travaux dans les champs. Ce sont surtout les femmes qui y sont représentées les hommes préférant sans doute d'autres occupations sociales... Aucune nourriture, aucune boisson n'est proposée aux participants, volontairement. 

Ce sont donc les plus curieux et les plus impliqués qui participent et pas ceux qui souhaiteraient profiter de cette occasion pour manger ou boire. Le travail socio-éducatif porte sur la méthode PHAST et la gestion de l'eau. De nombreuses réunions sont nécessaires - c'est un processus continu. Les animateurs restent d'ailleurs sur place, puisqu'ils sont choisis au sein des populations et peuvent éventuellement relancer le processus si nécessaire. Selon moi, l'assistance à ces réunions doit toujours être bien fournie. Les paysans rwandais se sentent concernés par le sujet et aiment la discussion. D'autre part, ils sont bien disciplinés et considèrent sans doute, ces réunions comme des formes de distraction. Sans en avoir discuté en profondeur, je sais qu'il y a peu d'artifices didactiques utilisés. On utilise parfois des images, on demande aux enfants de faire des saynètes. C'est essentiellement la parole et le bon mot d'humour qui porte. Ce travail se poursuit durant toute la phase de construction, puis l'infrastructure est inaugurée en présence des autorités communales et de district. Il arrive parfois que la télévision rwandaise fasse le déplacement. Durant ces inaugurations par contre, les hommes se montrent plus volontiers que durant les réunions communautaires.

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Point 4: Ecole de Kiyumba

 L'école de Kiyumba dispose de latrines modernes dont le nombre de compartiments s'élèves à 8. Elle dispose également d'un guichet de distribution d'eau. Les enfants reviennent donc de l'école avec des devoirs à faire, certes; mais aussi avec de l'eau nécessaire pour le ménage. Ici, l'adduction réalisée permet d'alimenter 10 guichets similaires à celui-ci. L'infrastructure est rentabilisée et le prix de l'eau est de 5 FRW par bidon de 20 l.

  
La latrines moderne. Un couvercle permet de refermer l'orifice une fois la commission terminée. Un bidon astucieusement disposé à la sorite de la latrines permet de se laver les mains en actionnant une simple corde.

Le projet de Kiymba fait partie des travaux co-financés par PROTOS et la demande est grande de ce type de mesures d'hygiène dans les écoles de la région. Un appel est lancé pour un jumelage test entre une école belge et une école du district pour le financement de telles latrines.

Les latrines ici présentées sont un incontestable progrès et un confort pour les enfants mais encore une fois, au niveau environnemental, il ne s'agit que de simples puits perdus.

La gestion des guichets et de l'infrastructure d'adduction est confiée, au terme du processus socio-éducatif, à un comité aussi appelé cellule. Celui de Remera couvre 10 kiosques à eau. Il est volontiers considéré comme un exemple par la COFORWA. L'argent payé pour l'eau achetée aux guichets sert à entretenir les infrastructures. Le compte en banque du comité de Remera est constitué par une réserve permanente de 300.000 FRW ce qui lui permet de voir venir. Les guichets sont administrés par des habitants membres du comité de gestion et vivants à proximité. Ils peuvent profiter de l'attractivité du guichet pour vendre d'autres produits (savon, sucre, huile...). Cette vente constitue leur récompense pour l'administration du guichet.

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Point 5: source aménagée dans à Mubanda

La plupart des interventions des artisans fontainiers est l'aménagement de sources, par drainage et concentration via un tuyau dont le diamètre dépend du débit. Au point 1, le débit des 3 sources cumulées était de 6 l/seconde, ce qui est appréciable. le plus gros débit de la COFORWA a été rencontré dans le nord avec une source de 20 l/sec.

En général la COFORWA réalise les travaux d'infrastructure, pose une plaque et procède à l'inauguration du point d'eau avec la population. Actuellement l'association propose aux habitants de réaliser eux-mêmes les travaux sous la supervision légère de la COFORWA. Celle-ci accorde aux habitants riverains, un budget pour l'achat du matériel.


Ici le débit de cette source aménagée est très largement inférieur au litre par seconde.
 Il faudra un temps certain pour remplir ce bidon. Son propriétaire patiente à l'écart.

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Point 6: kiosque et réservoir de 20 m3 à Remera

Ce réservoir alimente une localité plus importante. Des kiosques sont disponibles dans le village. Il est 17h30 lorsque nous y arrivons et les guichets sont fermés. Enfants et adultes viennent s'alimenter en eau directement sur le trop plein du réservoir.